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Lou d’Albertville

Promenade littéraire sur le sentier de vie de Lou Gonthier, institutrice et écrivaine savoyarde.
Propos recueillis et mis en forme par Martine Alix Coppier
Préface de Michel et Maryse Bufflier
éditions KAHUNAVISION

Lancement : mercredi 29 juillet

#loudalbertville #2015

B comme Belleville (Les)

...En ces années 1940-1941, j’étais institutrice à Saint-Marcel, et je logeais au-dessus de la fruitière, tandis que ma sœur Mad se trouvait à La Rochette. Je revois mon village de cette haute vallée, isolé en hiver par les avalanches. Pour venir à l’école, mes petits élèves empruntaient les tunnels creusés dans la neige après les abondantes chutes. Dans leur cartable en bois, ils portaient avec leurs livres la bûche quotidienne qui alimentait le feu de la classe et celui de la misérable pièce où je logeais.

Nous, les sœurs Gonthier, nous ne craignions rien, seulement d’être séparées, et nous n’avons jamais hésité à nous retrouver, dès que possible, malgré les cinq kilomètres qui séparaient nos deux postes. Excepté quand la tempête de neige avait enseveli nos villages durant plusieurs jours.


...Les habitants de nos villages vivaient le rude hiver enfermés dans leurs étables avec leurs bêtes : vaches, chèvres, moutons, volailles et le mulet, sans oublier le cochon qui dégageait une odeur incommodante. J’allais aux veillées, seule ou avec ma sœur, invitée pour une soirée bien chaude. Moi qui n’avais qu’un mauvais poêle toujours enfumé, qui, le matin, devais gratter la croûte de gel sur mes murs, j’enviais ces gens. Ils veillaient sur leur maîtra[1] quand le vent hurlait en tempête, et m’offraient du lait, du fromage et des œufs. J’ai eu droit au “rôti” quand est venue “la fête du cochon” ; c’est-à-dire, sa mort…


Cela était appréciable lorsque la route de Saint-Martin était barrée par l’avalanche. Je comprenais mieux la vie paysanne faite de profondeur, de silence et de patience aussi. J’étais touchée par tant de gentillesse.


 J’ai encore en mémoire la beauté fulgurante des clairs de lune sur les champs de neige vierge de décembre, l’image d’un berger dans les pâturages fleuris, les femmes en costume du pays devant la chapelle Notre-Dame-de-la-Vie...


[1] Maîtresse, en patois savoyard.



C comme Cœurs-Bleus (Les)

Un air de vieille chanson, et c'est le passé de mes dix-huit ans qui revient, avec comme un fugitif regret de ma jeunesse. Je revois, à Albertville, quand j’habitais avec ma famille la Villa* Fontaine près de la gare, notre voisine, dite la mère Boissat. Chez elle, nous nous réunissions entre filles et militaires, les Cœurs-Bleus comme nous les appelions, pour chanter notamment des succès de Tino Rossi autour de notre hôtesse au piano. Ma sœur Mad et moi attendions avec impatience le soir, nous faisant belles, nous coiffant. Eux, les militaires, n’oubliaient jamais de regarder notre Villa à leur arrivée en face. Et nous, cachées derrière les volets mi-clos, savourions ce moment.


En 1939, après les manœuvres d’été dans le Beaufortain, ils ne sont plus revenus chanter chez notre voisine si accueillante. Toutes les permissions ont été supprimées, comme les sorties du soir. Hitler avait envahi la Pologne, on parlait de guerre avec l’Allemagne. Quand nos amis ont embarqué dans les trains, ma sœur Mad et moi avons eu des larmes plein les yeux. Quand les reverrions-nous ?...



F comme Fourneaux

En septembre 1945, Pierre et moi venons de nous marier. À présent, je m’appelle Marie-Louise Coppier. Pierre est instituteur, lui aussi. Nous attendons avec anxiété notre lieu de nomination. Nous avons indiqué une préférence à l’académie. Nous rêvons d’un poste double aux environs d’Albertville*, une jolie école dans la campagne, entourée d’un jardin. Pierre aurait les grands, moi les petits. Je m’occuperais des fleurs, lui des légumes. Du bonheur dans cet avenir de "pédagos", à reprendre le travail ensemble, directeurs tous les deux.


Coup de tonnerre ! La voilà, notre destination… Fourneaux, en Maurienne. Nous restons atterrés, muets. Par les journaux, nous savons que les deux villes de Modane et Fourneaux ont subi de terribles bombardements, d’abord en septembre 1943 puis surtout le 11 novembre suivant par des avions anglo-américains. La ville de Fourneaux est sinistrée à quatre-vingt-quinze pour cent, y compris l’église démolie ainsi que le groupe scolaire. Qu’allons-nous trouver ? J’éclate en sanglots. « Il faut pourtant bien y aller, me dit mon mari. On verra bien, on est deux maintenant ! »


Le 27 septembre, c’est le départ à la gare, accompagnés par les parents Coppier, inquiets eux-aussi. La traversée de la Maurienne offre un paysage de désolation qui sape encore plus notre moral.


À l’arrivée en gare de Modane, le maire, monsieur Marcel Bouvier, nous attend et nous accueille chaleureusement : « Voilà nos directeurs ! » « Directeurs de ruines », pensai-je. Voyant notre désarroi et mes larmes, il nous encourage à accepter ce poste plus que déshérité. Par une route entre les maisons en ruines, il nous emmène dans notre future demeure. Le bâtiment où nous allons loger a été construit par Germain Sommeiller, constructeur du tunnel ferroviaire du Fréjus, et a résisté au bombardement. Notre logement se trouve au rez-de-chaussée, côté sud. En haut, habitent le maire et Georges Prax, secrétaire de mairie.
Je suis consternée, anéantie. Adieu l’école de mes rêves. Ici, c’est froid, c’est triste. L’école, trois baraques en bois, un mobilier scolaire bien maigre ; l’ancien a tout brûlé. Quelques tables en bois peintes en bleu récupérées à l’école italienne qui n’a pas été entièrement consumée, trois poêles à sciure. Les écoles voisines nous ont offert généreusement les "oubliés" des placards : quelques vieilles cartes murales et des gravures d’animaux...



M comme Marthod

Sur le versant de la rive droite de l’Arly, entre Ugine et Albertville, voyez ce gros village, ces fermes éparpillées en haut, en bas, de l’autre côté de la rivière : c’est le Marthod de mon enfance dont je garde les plus beaux souvenirs. Souvenirs qui ressuscitent en ma mémoire la petite fille que j’étais alors – trois, quatre, cinq ans –, grandissant au fil de ces années heureuses.


On m’appelait Ririse. Deux maigres tresses brunes encadraient un visage rieur nanti de yeux vifs marron foncé, d’un nez trompette et d’une bouche babillarde. Une enfant ordinaire. Je portais les tabliers à carreaux ou fleuris trop petits pour mes sœurs aînées Lilice et Nénène, mais les galoches, c’étaient les miennes. Mon papa les cirait et moi je les faisais briller.


Le dimanche, j’allais à la messe avec des souliers montants en cuir marron clair que je laçais seule, ce dont j’étais fière. La pèlerine bleue, taillée dans la capote militaire de mon papa récemment soldat à la guerre, me tenait bien chaud, sans compter ma robe descendant à mi-jambe, mon jupon en pilou, mes bas de laine tenus par les jarretières de mon corset rose que Fifine, notre bonne de seize ans, m’ajustait avec patience. J’affrontais ainsi le froid et la neige abondante en ces temps-là. Les beaux jours revenus, les chaussettes tirées de la malle reléguée au galetas laissaient apparaître des genoux souvent égratignés...



 M comme Millières (Notre-Dame-des)

  ...Avec mon père, nous avons exploré le territoire des Millières, fait des promenades merveilleuses jusqu’à l’Ébaudiaz et La Thuile, d’autres périlleuses à la Dent du Corbeau, cueilli des champignons et des fruits de la nature. Chaque dimanche, quand nous revenions de la messe, il cuisinait son délicieux civet de lapin ou faisait frire ses rissoles dorées qu'il cachait ensuite dans un panier sur l'armoire. C'était la surprise à chaque fois.


En été, notre vache rejoignait les alpages et les troupeaux de l’Ebaudiaz. Lors de la pesée, tout le lait qu’elle avait donné était noté et était “converti”, plus tard, en une belle meule de fromage dont nous régalions. Et nous en étions fières...




N comme Noëls

Noël est un mot magique pour moi, qui résonne chaque année depuis mes quatre ans. Il me vient des images et des scènes :


Ces crèches émouvantes où l’on mettait quelques sous dans un tronc pour avoir de la musique ; c’était, en somme, une boîte à musique.


 A Marthod, dans ma tendre enfance, les aînés préparent nos souliers biens cirés, aidés de papa. On les garnit de jolis papiers avec des découpes qui se rabattent, et moi, toute joyeuse, je trottine autour d’eux en gazouillant : « Là, là ! Yéyés…Zézus…bonbons ! » Au matin, les souliers ont bien reçu le don du ciel ; ils sont remplis de papillotes et de cadeaux. Je revois ma petite brebis avec sa laine plaquée sur le corps qui couine quand on la presse. Je la tiens serrée contre moi en l’embrassant.


Les Noëls au Pommaray, au-dessus de Notre-Dame-des-Millières*. Nous sommes plus grandes et nous avons le droit de descendre à messe au chef-lieu. Les galoches alignées devant la cheminée attendent les cadeaux. Dans la nuit, ensommeillées, le départ a été difficile ; lanterne à la main, notre papa nous précède. Ce sont des lumières éphémères sur les sentiers glacés. Parfois, alors que nous sommes endormies dans l’église, le Minuit Chrétiens chanté par tous les fidèles nous réveille. La montée du retour se fait péniblement. Nous voilà vite au lit, attendant les cadeaux du matin !


Nous avons droit aux rissoles, ces beignets cordés, pour patienter avant le festin de midi. Dans mon soulier, je me rappelle avoir trouvé une fois une petite souris qui trotte quand on lui remonte la clé et les traditionnelles papillote et orange...




O comme Occupation (L’)

En novembre 1942 les Italiens ont occupé Albertville, sans causer trop de problèmes, car Italiens et Savoyards sont souvent des cousins. L’Occupation, je ne l’ai pas vraiment ressentie, au début, car nourrie des produits de la ferme et protégée des rumeurs de la vallée, dans mes montagnes du Beaufortain* où j’étais institutrice, je ne savais pas grand-chose. Je crois bien que mon seul acte “d’héroïsme” était de passer aux contrôles de sentinelles allemandes du pont des Adoubes avec mes sacoches pleines de victuailles pour mes parents. Le cœur battant, car on aurait pu prendre ça pour du marché noir, alors qu’il s’agissait de cadeaux de mères d’élèves...




​T comme Tente

Partir en vacances en camping a toujours été une véritable expédition pour les familles Coppier et Christin, surtout pour mon mari : valises, tente, canot pneumatique, rames, matelas à gonfler, casseroles, camping gaz, vache à eau, tout cela à caler sur le toit de l’Aronde et à sangler avec des tendeurs, sans oublier le jeu de boules en bois.


Un jour, sur la route du Sud, la bâche imperméable qui recouvrait le tout, précieuse, car historique (elle avait connu les tranchées de 14-18), s’est envolée. C’était celle du père de mon mari, celle qui ne manquait jamais à l'appel du coffre. Une autre fois, ce furent les boules de pétanque en bois qui firent un bruit de tonnerre en tombant, heureusement sans dommage pour la voiture qui suivait sur la Nationale 7.


 ​V comme Vieillesse

J’ai quatre-vingt-quinze ans. Parfois, certains me demandent comment arriver à cet âge. Ma recette pourrait être celle-ci : médecine, un peu. Optimisme, beaucoup. Projets, amour-amitié, générosité, un maximum. Il faut aussi savoir rire de soi, de ses petits malheurs, et garder de l’humour.
Mes enfants m’entourent beaucoup, et j’ai une vie familiale, amicale et sociale riche où règnent bonne humeur, conversations et échanges entre générations, ce qui me fait rester jeune d’esprit.


​V comme Vieillir (à deux)

Quand j’avais vingt ans, l’hiver 1940-41, j’étais institutrice à Saint-Marcel, dans la haute vallée des Belleville, en compagnie de ma sœur Mad qui, elle, se trouvait en poste à La Rochette. À l’époque, venaient nous voir deux jeunes aviateurs basés à Laplume, près d’Agen : Gabriel Christin*, dit Gab, fiancé à ma sœur, et son camarade Pierre Demoury, pour qui mon cœur battait.


Au cours de sa seconde permission, tout guilleret, Pierre avait dit à Gab : « Tu vas te marier bientôt. Moi, je vais demander la main de Lou à ses parents, et je descends avec toi à Albertville. »


Au retour, il était soucieux et presque muet. Je ne savais pas qu’il avait envisagé cette démarche, puis réfléchi, son père qu’il admirait l’ayant averti : « Tu n’as pas le droit de fréquenter quelqu’un avant d’avoir fini tes études. » Il est vrai que l’avenir était bien incertain, avec cette guerre. Je crois aussi que mes parents ne lui auraient pas fait un accueil chaleureux.


Puis la ligne de démarcation nous a séparés. Par les sentiers verglacés ou fleuris des Belleville, je continuais à chanter d’une voix claire la chanson de Solveig que Pierre m’avait offerte sous forme de partition : « Je t’ai donné mon cœur, il attend, résigné, et ne saurait changer. »


La vie nous a ensuite emportés chacun de notre côté, pendant soixante ans, mais je n’ai jamais oublié Pierre. De son côté, il ne m’avait pas oubliée non plus.


​... En ce mois de juillet 2000, nous nous trouvons en famille à La Noue, sur l’île de Ré, comme nous le faisons depuis cinq ans, moi, mes enfants et leurs conjoints. J’ai le cœur qui bat la chamade à l’idée de le revoir, après tant d’années, après soixante ans exactement. Il va me trouver changée, forcément. Et lui, vais-je le reconnaître ?...

 ​

​Oser se relancer dans une vie affective après quatre-vingts ans, accepter la vie, ne pas écouter le "qu’en dira-t-on", n’est pas si facile. Mais nous n’avons plus le temps de jouer à la "carte de tendre". Chaque jour est un jour de bonheur gagné, à savourer. Il n’est jamais trop tard pour connaître une belle histoire, pour nouer une relation, pour renouer avec une ancienne, qu’il s’agisse d’amitié ou d’amour. À condition de s’autoriser à la vivre. L’âge ne doit jamais servir d’alibi au renoncement ; le bonheur peut surgir même sur le tard, et parfois au moment où on ne l’attend plus. C’est le message que Pierre et moi avons transmis à nos descendants et à toutes les générations...

... ​Pour nos quatre-vingt-dix ans, Pierre m’a demandé en riant : « Tu es d’accord ? On continue ? » C’était oui, évidemment.

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Bibliographie lou_gonthier_articles_presse

2015 - dimanche 6 décembre
Journée du livre
ECOMUSEE de GRESY sur ISERE

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2015 - samedi 21 novembre
Dédicace à la librairie GARIN à CHAMBERY toute la journée
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2015 - dimanche 29 novembre
Dédicace au Salon du Livre - LES MARCHES (Savoie) - Stand des éditions KAHUNAVISION - Patrick JAGOU -
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Lou, adolescente, vers 1932. (Photo collection Gonthier Perrier)

Lou, dans sa quarantaine. (Photo collection Coppier)

Lou et Mad au ski, vallée des Belleville, 1941. (Photo Pierre Demoury)

Lou devant la chapelle Notre-Dame de la Vie, vallée des Belleville, 1941. (Photo Pierre Demoury)

Lou avec ses élèves de Fourneaux, 1961. (Photo Studio Belle Etoile)

Lou, Pierre Coppier et Martine, leur troisième enfant, au camping du Bidule, 1959. (Collection Coppier)

Lou et Pierre Demoury devant le four à pain à Kergouët, 2001. Photo de la collection de Lou)

Lou sciant du bois au Planay, 2003. (Photo Martine Alix Coppier)

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Sentiers d’auteurs, sur RTL2, massifs de Savoie.
Une interview de Martine Alix COPPIER, par Patrick JAGOU.

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2015 - samedi 12 décembre
Dédicace à la librairie HISTOIRE DE LIRE,
à MODANE, de 14h30 à 17h00

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